La France vise la neutralité carbone d’ici 2050, mais moins de 1 % des véhicules en circulation fonctionnent actuellement à l’hydrogène. Ce contraste persiste alors que plusieurs études soulignent le potentiel de ce gaz pour réduire les émissions dans les transports lourds et l’industrie.
Le coût de production élevé, l’absence d’un réseau de distribution dense et les défis liés au stockage freinent sa généralisation. Pourtant, certains pays multiplient les investissements et les expérimentations, misant sur l’hydrogène pour accélérer la transition énergétique. Cette dynamique interroge sur les choix technologiques opérés et sur les arbitrages nécessaires pour une mobilité décarbonée.
L’hydrogène, une énergie d’avenir encore méconnue
Derrière l’engouement grandissant pour la mobilité propre, l’hydrogène reste un mystère pour beaucoup. Ce gaz, longtemps cantonné à l’industrie ou à la conquête spatiale, commence à s’inviter dans le débat public. Pourtant, on oublie souvent que l’hydrogène ne se trouve jamais seul dans la nature : il se cache dans l’eau ou les hydrocarbures, nécessitant des procédés industriels complexes pour être isolé.
Sa fabrication, en partie héritée des filières traditionnelles, s’appuie majoritairement sur le gaz naturel ou le charbon (hydrogène « gris »). La production par électrolyse de l’eau, bien plus respectueuse du climat, reste aujourd’hui anecdotique au regard de la demande. Les ambitions françaises et européennes sont sur la table, mais la réalité des volumes fabriqués par électrolyse demeure limitée.
L’image de la fusée qui décolle a longtemps façonné notre perception de ce gaz. Pourtant, l’hydrogène n’est pas qu’un carburant pour missions lunaires : il a toute sa place dans la transition énergétique, en particulier pour les transports. Contrairement à l’électricité qui réclame un réseau instantané, l’hydrogène se stocke, se transporte, et peut alimenter des usages variés quand le soleil ou le vent font défaut.
Pour basculer vers un hydrogène décarboné, il faut déployer des moyens techniques et financiers lourds : électrolyseurs performants, électricité verte, réseaux de distribution adaptés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : d’après l’Ademe, 95 % de l’hydrogène mondial est encore extrait des énergies fossiles, générant d’importantes émissions de gaz à effet de serre. Seule une transformation en profondeur des méthodes de production, portée par des décisions politiques et industrielles, permettra à l’hydrogène propre de s’imposer durablement.
Quels atouts pour la mobilité et la décarbonation des transports ?
L’hydrogène dans les transports, c’est la promesse d’une mobilité sans émissions nocives. Les véhicules équipés de piles à combustible transforment l’hydrogène en électricité et ne rejettent que de la vapeur d’eau. Cette technologie, loin d’être réservée aux prototypes, équipe déjà des voitures, des bus, des trains. Alstom, par exemple, exploite des rames à hydrogène sur des lignes non électrifiées en Allemagne, preuve concrète que l’innovation est déjà sur les rails.
Un autre argument fort : l’autonomie. Là où nombreux véhicules électriques plafonnent autour de 200 km, certains modèles à hydrogène, comme ceux de Toyota, dépassent les 500 km sur une seule charge. Ajouter à cela un ravitaillement en quelques minutes, et on retrouve une expérience d’usage proche de celle des véhicules thermiques, sans compromis sur le temps ou la flexibilité.
Voici ce qui distingue l’hydrogène sur le terrain de la mobilité :
- Absence d’émissions directes : aucun CO₂ ni particules fines à l’échappement.
- Rapidité de recharge : le plein se fait en un clin d’œil, comme à la pompe classique.
- Polyvalence : l’hydrogène se prête aussi bien à la petite citadine qu’au transport lourd.
En France, la feuille de route nationale vise à déployer des solutions innovantes. Pourtant, l’usage reste confidentiel : moins de mille véhicules en circulation et un réseau de stations toujours très limité. Les ambitions affichées ne pourront se concrétiser sans arbitrages forts et une accélération des investissements. La mobilité hydrogène ne demande qu’à franchir ce cap.
Freins techniques, économiques et sécuritaires : pourquoi l’hydrogène peine à s’imposer
L’hydrogène attire toutes les attentions, mais passer de l’expérimentation à la généralisation reste une autre histoire. Premier défi : le stockage et le transport. Ce gaz, particulièrement volatil, impose des conditions exigeantes : stockage à très haute pression ou refroidissement extrême pour le liquéfier, soit -253 °C. À chaque étape, le risque de fuite augmente la complexité logistique.
Le coût constitue un second verrou. Produire de l’hydrogène décarboné, via l’électrolyse de l’eau alimentée par de l’électricité renouvelable, revient nettement plus cher que l’extraction via le gaz naturel. D’après l’Ademe, la quasi-totalité de l’hydrogène consommé dans le monde provient encore des énergies fossiles. Les industriels hésitent à investir massivement dans une filière dont la rentabilité reste incertaine, d’autant que la demande met du temps à décoller.
Autre sujet : la sécurité. Malgré des protocoles rigoureux, les craintes persistent dans l’opinion, en partie à cause du passé explosif du gaz. Les réglementations strictes obligent à avancer avec prudence, ralentissant l’ouverture de nouvelles stations de ravitaillement ou le déploiement de flottes de véhicules à hydrogène.
Les projets pilotes abondent, mais peinent à lever tous ces obstacles. Entre volontarisme et prudence budgétaire, collectivités et entreprises avancent pas à pas. L’hydrogène, souvent présenté comme la clé de la mobilité propre, attend toujours le sursaut qui le fera passer au stade industriel.
Mobilité lourde, industrie : des usages prometteurs mais sous-exploités
Les plus grands espoirs se concentrent sur la mobilité lourde. Pour les poids lourds, les bus, les trains régionaux, la pile à combustible offre une alternative sérieuse là où la batterie montre ses limites : autonomie, rapidité de recharge, poids embarqué. Pourtant, le nombre de camions ou de trains à hydrogène reste faible. La France expérimente, notamment via Alstom, mais la généralisation se heurte toujours à l’absence d’un réseau de ravitaillement structuré.
Dans l’industrie, l’enjeu n’est pas moindre. Les raffineries, la sidérurgie, la production d’engrais : tous ces secteurs consomment déjà d’énormes volumes d’hydrogène, majoritairement issu des énergies fossiles. Passer à un hydrogène produit à partir de sources renouvelables permettrait une réduction significative des émissions. Mais à nouveau, le coût du stockage et la rareté des projets à grande échelle freinent la transition.
Les principaux obstacles à lever se résument ainsi :
- Maillage insuffisant des réseaux pour le transport et le stockage de l’hydrogène
- Prix de revient de l’hydrogène propre encore élevé face aux alternatives fossiles
- Des projets pilotes en nombre, mais une industrialisation de masse qui tarde
L’hydrogène dispose d’un potentiel immense pour transformer la mobilité lourde et certains secteurs industriels. L’Ademe souligne qu’un déploiement coordonné et ambitieux, en France comme en Europe, reste le levier décisif pour sortir l’hydrogène de la marge et l’inscrire dans le quotidien énergétique collectif. Le virage n’est pas encore pris, mais la fenêtre reste ouverte : à voir qui osera s’y engager pleinement.


